Extrait de Musique Bretonne n°66, décembre 1986

Le Tambour : un instrument breton

Par Christian Morvan

photo ancienne trio assis

Le tambour est un instrument aujourd'hui oublié dans la musique traditionnelle bretonne ; il y a pourtant joué un rôle important jusque dans les années 1935-1940 dans certaines régions.
Le rôle du tambour reste flou, souvent mal considéré, négligé, ainsi
- «... le tamboulin : souvent nécessaire lorsque certains sonneurs de bombarde n'étaient pas bons donneurs de rythmes désirés pour la danse...». (Bernard de Parades dans la revue du CENAM N°39, 1985).

ou encore :
- «... Autrefois, s'ajoutait à ces deux instruments (biniou-bombarde) un troisième, le tambour ; ce tambour ne jouait qu'un rôle accessoire et a disparu...». (Yves Castel dans Méthode de biniou-bombarde, 1980).

Il existe de nombreuses preuves de l'existence du tambour en temps qu'instrument traditionnel en Bretagne et ce, depuis la Révolution, voire, même avant.

- «... l'orchestre est un biniou ou bigniou (cornemuse) ; une bombarde, espèce de hautbois un tambourin ; quelquefois on y ajoute une vielle...». (Boucher de Perthes, souvenirs de Basse­Bretagne, 1831).

- «... les joueurs de biniou et de hautbois y sont soutenus par le troisième musicien que nous avons annoncé comme complétant un orchestre breton : c'est le joueur de tambour, exécutant moins recherché que les deux autres, mais à coup sûr, le plus original des trois. Quoi de plus bizarre en effet qu'un grand gars, au cou duquel est suspendu une espèce de petit tambour d'enfant et qui le fait résonner, en mesure ou non, avec la gravité la plus grotesque ?» (Breiz Izel. A Bouët ; 1844).

Voir aussi Musique Bretonne N°64 : P8 et 9)

On pourrait ainsi multiplier les exemples. Pourquoi alors le tambour si décrié, si mauvais, est-il resté à l'honneur dans les noces jusque dans les années 1935-1940 ?
Il accompagne aussi bien les couples biniou-bombarde que les sonneurs de clarinette, que cela soit en pays gallo ou bretonnant.
Quel pouvait être le rôle de ces batteurs ?
Dans les régions de clarinettes, on demandait un tambour dans les grandes occasions. Ainsi dans les noces, il y avait une clarinette ou deux et en plus un tambour suivant l'importance et les moyens des familles. Dans les fêtes villageoises, le tambour accompagnait souvent les sonneurs.
Il en était de même pour le couple biniou-bombarde où le tambour apportait un "plus" ; il y jouissait alors d'un certain prestige.
On peut s'imaginer la "classe" que devait avoir un cortège de noce, précédé de deux sonneurs plus un tambour, entrant dans le village ou se rendant de la mairie à l'église !
Le tambour accompagnait toute la noce, aussi bien les marches le matin, que les danses, assurant un soutien rythmique aux sonneurs.
L'idée de l'emploi des tambours comme palliatif à une quelconque médiocrité des sonneurs ne tient pas. On imagine mal dans ces grandes circonstances que les sonneurs retenus aient été des sonneurs de seconde zone !

Quel pouvait être le style de ces batteurs... ?
Le jeu de ces batteurs est sans doute à rapprocher de la technique militaire ou de fanfare. Mais que pouvait donner cette technique sur une marche bretonne ou une gavotte par exemple ? Dominique Jouve, sonneur de clarinette, a joué et enregistré, avec sans doute, l'un de ces derniers batteurs, Emile Le Fur de Saint-Nicolas du Pelem, qui a accompagné de nombreux sonneurs de clarinette lors de fêtes et de noces. Je ne pourrais en analyser le jeu, n'étant pas spécialiste en la matière, mais on m'a dit que son jeu était très proche du jeu de fanfare, avec cependant des particularités, des adaptations. Est-ce un style qui lui est propre, sa façon à lui de jouer ? Ou, existait-il un style spécifique, utilisé par les batteurs bretons ? ...
Il faudrait d'autres enregistrements de batteurs jouant en tout début du siècle, pour pouvoir juger.

François Goubain, sonneur de clarinette décédé récemment, m'expliquait qu'au début de sa carrière de sonneur (1920-1925), il aimait se faire accompagner par de bons joueurs de tambour, mais que plus tard, vers 1930-1940, il ne trouvait plus de bons batteurs.
Les derniers batteurs étaient souvent les "batteurs de ville", ou garde champêtre, d'où le doute quant à leur niveau technique, probablement sans réelle formation.

L'instrument utilisé

Le tambour a aussi un rôle symbolique important. Ainsi jusqu'en 1825 environ, les transmissions des ordres se faisaient exclusivement au moyen des "batteries" des tambours. Le tambourinage a ses codes, c'est un langage employé dans des occasions précises et articulé en des formules rythmiques prédéterminées : le roulement par exemple. Le tambour est employé de différentes façons selon les besoins militaire, civique ou festif.

Tambour et Bagadou

Dès les débuts des bagadou, on trouve le tambour. Leurs premiers tambours étaient d'ailleurs en cuivre et peaux animales tendues, puis les bagadou se sont très vite inspirés de la technique écossaise des pipes bands et en ont pris l'instrument. Le son et la technique actuelle des batteurs, aussi belle soit-elle, n'a absolument rien à voir avec l'ancien jeu des batteurs bretons. Le son actuel est beaucoup plus sec, les peaux sont en synthétique.

A ma connaissance, il existe trois disques avec le trio "biniou-bombarde et tambour".
Deux de Jean Baron à la bombarde, Christian Anneix au biniou et Hervé I'Yver au tambour. Le résultat n'est à mon avis, pas convainquant. Est-ce dû à l'enregistrement ? -le tambour me semble loin- ou alors au jeu même du tambour qui me semble trop proche de celui qu'utilisent les batteurs des bagadou ? Y a-t-il eu recherche sur le tambour ? ... A noter que l'instrument est monté avec des peaux animales et que les baguettes sont en ébène.
Le troisième, que je n'ai pas écouté, de Pierre-Yves Moign, M. Bozec et R. Lostanlen dont j'ai eu connaissance par le Ar Soner N°160 de 1968, dans un article de Polig Monjarret qui tentait de remettre à l'honneur le trio biniou­bombarde et tambour.
Beaucoup de recherches sont encore à faire sur cet instrument et même de véritable collectage, car il reste sûrement d'autres batteurs de tambour, qui n'exercent plus leur art mais qui seraient sans doute heureux de voir leur instrument remis à l'honneur, si vous en connaissez, soyez sympa, prévenez moi !

Christian Morvan dit "Le Fouineur impénitent"...